« Te rappelles-tu le temps où tu n’étais princesse que de nos poupées? »
Elle saisit hasardeusement ses mèches platine d’une main, les enfermements nerveusement dans un élastique noir en continuant de tracer vers le bâtiment principale de l’académie. Sous son long manteau sombre, ses épaules et ses abdos la tiraient, ses poings la piquaient encore, tout son corps lui rappelant qu’à sa fille, elle avait préféré un affrontement de plus. La culpabilité hurlait dans sa tête – contre les parois de son crâne, elle se répercutait, triste écho de son deuil -, et elle avait presque l’impression que c’était la voix de Yoko qui lui passait une soufflante. Clare avait toujours prévenue son amante qu’elle serait éternellement à ses côtés, mais qu’il ne fallait pas l’imaginer capable de ce qu’elle ne savait réaliser : en mourant, Yoko avait fait exactement l’inverse, lui confiant une fillette dont elle ne saurait pas capable de s’occuper. C’était couru d’avance. La Veuve était une fêtarde, une rebelle à l’âme encore informe, à qui on n’avait pas laissé de temps pour faire son deuil. Elle n’avait pas le potentiel d’une mère dans l’absolu. Surtout pas en ce moment, où plus que jamais son corps et son esprit en faisaient des leurs, travaillant conjointement pour la rendre dingue.
Clare mordit fermement sa lèvre et relâcha ses cheveux en entrant, les talons de ses bottes de motarde frappant le damier. Au dessus, le lustre scintillait sous l’indifférence de ses yeux bleu marin, qui la première fois qu’ils l’avaient vu, avaient roulé d’exaspération. Ironique, cette façon qu’avait le gouvernement de vouloir maquiller en palais ce qui n’était qu’une prison ; inutile avec elle. Sa fille ne venait ici que parce qu’on lui avait forcé la main après l’accident mortel avec Yoko, et parce que son altération pouvait devenir dangereux pour elle-même. Si elle avait pu protéger Liza de rejoindre les rangs du bétail humain qu’étaient devenu la plus part des altérés, elle l’aurait fait.
Le regard bas suivant les diagonales du damier, la Veuve arpenta le tapis rouge, en longues enjambées sombres et musclées. Arrivée au pied de l’escalier elle commença à grimper sans prendre garde à la voit l’appelant. Ce n’est qu’à la quatrième marche qu’elle se réveilla, tournant la tête.
Son pied cogna contre la contremarche, son corps partis en avant, continuant dans sa chute, de se tournait vers la voix. D’une main, elle se rattrapa maladroitement sur une marche plus haute, son dos cognant contre l’angle des marches. Un instant elle n’entendit plus que sa respiration sifflante entre ses lèvres entrouvertes, qui soulevait son torse sous le tissu claire de son T-shirt. La moitié de son corps était encore crispé et paralysé pas la surprise, et pourtant elle avait la sensation que le seul de ses organes déconnant réellement était ses yeux. La réminiscence qu’ils lui montraient ne pouvait pas être vraie.
Elle avait changé. Evidement. La fillette au corps androgyne était loin, vague souvenir vieux d’une décennie. Les ongles de la danseuse glissèrent lentement sur le marbre des marches, la sensation désagréable la faisant réagir. Maladroitement, elle se releva, tirant sur son haut qui dans sa chute était remonté sur son ventre, et redescendit les marches sans la lâcher des yeux. Un pas les séparant, elle s’arrêta, ses doigts serrés sur le bord des manches de son manteau.
Reyna Black, jeune amie qui lui avait tant manquée.
Clare retient un mouvement vers elle, empêchant sa main de se lever jusqu’à sa joue pour la caresser du dos de ses doigts, effleurer sa mâchoire. Elle brûlait de pendre son visage entre ses poings, de le tourner pour observer son profils ; d’une main arracher quelques pinces à son chignon pour voir ses cheveux tomber sur ses épaules, en mesurer la longueur, en reconnaître la couleur. Mais tout ceci appartenait au temps où elles étaient comme sœurs. Aujourd’hui, elle avait perdu ce privilège. C’était quelque chose qu’elle avait faussement accepté en partant d’Angleterre à ses vingt ans, qu’elle perdrait sûrement pour toujours la confiance de cette petite fille qu’était Reyna à l’époque ; en réalité, elle n’avait que refoulé la réalité loin en elle, préférant l’ignorer et se concentrer sur la joie de son foyer avec Yoko.
Elle déglutit difficilement, ses lèvres s’entrouvrant sur une respiration compliquée, avant qu’elle n’arrive à murmurer sans assurance :
« Reyna… »Un semblant d’accent british lui était revenu, la dernière syllabe se détachant à peine de sa langue. Elle tenta de retrouver un peu d’aplomb, et dans ses poches rangea ses mains, renvoyant légèrement les épaules en arrière sans oser réellement regarder dans les yeux la princesse Black.
« Ca fait… Dix ans. »Répondit-elle à cette question qui n’en était pas réellement une. Voilà qu’elle se faisait gronder par une enfant. Un silencieux rire nerveux la prit, alors qu’elle faisait mine de remettre derrière son oreille une mèche de cheveux déjà attachée.
« Je ne pensais pas te revoir… Surtout pas ici. Tu… es une altérée ? »Elle connaissait les parents de Reyna : très semblables aux siens. Si leur fille c’était réveillée altéré, à défaut de pouvoir le cacher, ils l’auraient envoyée dans la meilleurs école possible, qu’elle maîtrise parfaitement son altération et en soit même glorifiée.